Sarre-Union au cours des âges
Depuis plusieurs siècles, l’Alsace Bossue est le bassin d’une vie musicale très riche qui a formé ou accueilli plusieurs grands musiciens à la réputation internationale. Aujourd’hui encore, grâce à son histoire et sa géographie particulière, elle est un site où la musique d’harmonie ou de groupe, profane ou sacré, est très présente.
Les archives contiennent certains documents relatifs aux origines et au tout premier développement de la vie musicale de la ville de Sarre-Union : cette ville, chef-lieu de canton, a été habitée depuis un temps immémorial. L’homme de l’âge de pierre y séjournait déjà, bien que la région fût encore couverte de forêts vierges à travers lesquelles la Sarre se creusait son lit marécageux.
Située entre Alsace et Lorraine, en Alsace Bossue ou « Krummes Elsass » plus précisément, dont elle en est la capitale, cette bourgade rurale était entourée de hautes murailles flanquées de 13 tours de défense. Édifiée en hauteur sur un antique établissement gallo-romain, elle deviendra rapidement une cité commerçante et artisanale.
Bouquenom, d'après un plan topographique de 1715.
(Sources DNA du 02 avril 2010 - Archives départementales de Nancy)
Les plus vieux documents la dénomment Buckenheym : l’étymologie n’est pas sans rappeler une origine celtique. En ce lieu, dit-on, le chef Bucco-ou Burco- diminutif de Burckardt, aurait établi sa demeure sous les hêtres (unter den Buchen). Des trouvailles excessivement nombreuses de l’époque gallo-romaine ne laissaient aucun doute : une colonie s’était établie au carrefour de plusieurs voies romaines et gauloises.
Au Wasserwald, s’élevait un autel dédié à Bucius, une divinité éponyme de Mercure, le dieu des commerçants et des voyageurs. Les nombreuses Villae mises à jour au cours des deux derniers siècles dans la vallée de la Saar et de l’Eichelgau prouvent la présence des légionnaires et colons dans la région, 58 avant Jésus-Christ (58 Av J-C) ; ils n’étaient nullement insensibles au charme du plateau des Médiomatriques, peuple de la Gaule Belgique dont le territoire s‘étendait de la Vallée de la Meuse jusqu’au Rhin. Plus au Nord, les Trévires peuplaient les rives de la Sarre et de la Moselle, depuis les collines du Palatinat jusqu’au plateau luxembourgeois Plus au Sud, la tribu des Leuques prospérait sur un territoire qui s’étendrait de la Meuse aux Hautes-Vosges.
L’empire des romains ayant pris fin, ces colons furent forcés de céder leur place au nouveau maître : les Francs prirent possession des lieux au IVe (4ème) siècle et lui donnèrent le nom de « Bucchenheim ».
Au XII (7ème) siècle, la cité de Bockenheim est mentionnée dans une charte de l’abbaye de Wissembourg.
Dans des documents du XIIe (12 ème) siècle, en 1178, notre petite ville figure pour la première fois sur une bulle du Pape Alexandre III, qui énumère parmi les revenus de l’Abbaye de Neuwiller, la dîme de « Bucchenheim ». C’est probablement à cette époque, préposé de cette Abbaye, l’évêque de Metz, acquitte la suzeraineté sur Bouquenom et sur Sarrewerden. Il donna les deux villages en fief au comte de Sarrewerden.
Le comte Frédéric, comte de Sarrewerden vassal de l’évêque de Metz, gratifia, en 1328, notre endroit des droits d’une ville en libérant les habitants de leur condition de serfs. La ville fut fortifiée, elle connait un développement régulier et sera considérée durant des siècles comme forteresse du comté.
L’empereur Charles IV investit en 1357, le comte Frédéric du droit de l’escorte et de l’établissement d’une douane dans la ville. Lorsqu’en 1397 le dernier comte de Sarrewerden, Henri, décéda, les Comtes de Moers-Sarrewerden lui succèdent dans le comté et deviennent Seigneurs de Bouquenom et Sarrewerden en 1418.
En 1527, Jean-Jacques, le dernier comte de Sarrewerden décède et les difficultés commencent : l’Evêque de Metz -le cardinal Jean investit son frère- le Duc Antoine de Lorraine et le comte de Nassau-Sarrebruck revendiquent l’héritage des villes de Bouquenom et de Sarrewerden. Mais il fût impossible à ce premier d’entrer en possession des-dites villes par suite de l’opposition des comtes de Nassau, munis d’une décision impériale provisoire rendue en leur faveur (le procès intenté à la chambre impériale spire durera 100 ans et entraîna à sa suite une détresse indicible dans notre région).
En 1557, les Nassau introduisirent la Réforme Luthérienne, la Kirchen-ordnung de Deux-Ponts réglementait la vie religieuse dans la plupart des paroisses des vallées de la Sarre, de l'Eichel et de l'Isch.
Ils accueillent, deux ans plus tard, des Huguenots qui seront à l’origine de la renaissance des huit villages welches et offrirent même un asile aux réformés français. Le commerce et l’industrie deviennent florissants. On érigea de nouvelles constructions, publiques ou privées, ces transformations vaudront à la ville le surnom de « petit Strasbourg » tant la ville est incontournable pour ceux de passage : église-basilique Saint-Georges en 1578, collège des Jésuites d’Ignace de Loyola, couvent des religieuses de Pierre Fourier. Brasseries, moulins, poste aux chevaux, tanneries, manufactures de draps Karcher,… les jolies formes des maisons à pignons Renaissance plaisent encore aujourd’hui.
1629… Chambre Impériale de Spire rend son jugement : partager le comté entre les 2 plaignants. Alt-Saarwerden (capitale du comté) et Bouquenom sont séparées du comté et cédées à l’évêque de Metz devenant ainsi lorraines.
François II, Duc de Lorraine, s’empara sur-le-champ non seulement des 2 villes, mais de tout le comté et força les sujets à lui prêter le serment de fidélité. L’anti réforme fut organisée. Le duc fonda le collège des Jésuites et le couvent des religieuses de la congrégation de Notre dame, qui tous 2 devaient servir tant à la propagande de la foi qu’à l’enseignement de la jeunesse. Mais en 1633 déjà le rhingrave Othon Louis, chef des armées des Princes Protestants alliés, reconquit Bouquenom. En 1635, les suédois restituèrent tous les droits au Comte Guillaume-Louis de Nassau-Saarbrücken.
Provinces de la Sarre 1703 - Landesarchiv Saarbrücken, Kartensammlung Hellwig Nr. 834
Les possesseurs changèrent souvent au cours des années qui suivent. Tantôt les troupes impériales, tantôt celles des suédois ou des français se rendirent maîtresses de la ville et la Lorraine en reprit possession en 1639. Mais la guerre, la faim, et la peste avaient fait un horrible saccage et la ville était presque transformée en un pays désert. Il ne restait plus que 16 des 700 chefs de famille d’avant la guerre.
Mais la guerre de 30 ans continua à faire des ravages, le château fut détruit, les habitants de Bouquenom apprirent qu’eux seuls furent exclus de la conclusion de paix. Les traités de Westphalie en 1648 ne mettent pas fin aux troubles pour autant et Bouquenom retourna aux Nassau. Les prétentions des maisons de Nassau et de la Lorraine durent encore être examinées : les Lorrains, les suédois et de nouveau les lorrains, devinrent maîtres de la ville et enfin la France, à laquelle les comtes de Nassau s’étaient adressés, intervint dans les conflits. Le Duc Charles IV abandonna Bouquenom et ses autres possessions au Prince de Vaudémont, en 1667. Mais ce fut en vain qu’il sollicita l’érection de ses territoires en un duché immédiat auprès de l’empereur. Ce duché devait porter le nom de « Saarland ».
Le traité de paix de Nimègue, en 1679, restitua au comte de Nassau la totalité du comté de Sarrewerden, y compris sa capitale.
En 1680, Louis XIV –Roi Soleil- est désireux de réaliser l’unification de l’Alsace et de créer la Province de la Sarre ; un an plus tard, un arrêt de la Chambre des Réunions, ordonna aux Nassau et autres princes possessionnés étrangers à faire leur reprise de l’évêché de Metz et à prêter le serment de fidélité au roi de France en sa qualité de suzerain.
Ce dernier, disposant librement en maître de notre comté, créa la « Province de la Sarre » à laquelle il incorpora notre ville. Il arriva en début juillet 1683 avec une grande suite pour visiter la ville de Bouquenom. Son séjour dura 9 jours, durant lesquels il se fit présenter bon nombre de ses régiments alentours en manœuvre. En quittant, il ordonna la reconstruction des halles (transformées depuis en Hôtel de Ville) à ses frais. Il perdit la province de la Sarre le 30 octobre 1697, par le traité de paix de Ryswick, qui devait apporter la quiétude désirée depuis si longtemps : Louis XIV fut obligé de rendre les terres aux anciens seigneurs : l’ancien comté de Sarrewerden aux Comtes de Nassau-Sarrebruck, les villes de Bouquenom et de Sarrewerden furent restituées en 1705, au prince de Vaudémont Léopold Ier duc de Lorraine.
En 1706, privés de capitale, pour se consoler de la perte de Bouquenom et de Vieux-Sarrewerden, les Comtes de Nassau-Saarbrücken, décidèrent de construire une nouvelle capitale sur la rive gauche de la Sarre, en face de Bouquenom. Cette « Neustadt », en aval d’Altsaarwerden, fait partie du ban de Zollingen : le Neusaarwerden qualifié de Nassauisches Mannheim (le Mannheim des Nassau), vit le jour… La nouvelle Saarwerden ou « Ville Neuve » est moderne, ouverte, construite en damier et à l’architecture repensée. A ville nouvelle promue, en 1645, chef-lieu du bailliage des Nassau-Weilbourg, nouvel hôtel de ville donnant sur la place du marché et, à proximité, nouvelles écoles luthériennes et calvinistes, et nouvelle église… qui fût inaugurée le dimanche précédent l’ascension de l’année 1710.
Après le partage du comté, survenu en 1745, Neusarrewerden resta chef-lieu du bailliage du même nom. Le XVIIIe (18ème) siècle amènera pour les 2 chefs-lieux une période de développement calme et constante. Les rapports entre les 2 gouvernements devinrent paisibles et plus normaux. Suppression de la prévôté en juin 1751, un nouveau pont fût construit en 1752. En 1766, le dernier Duc de Lorraine, Stanislas Leszczynski, décèda.
Le prince Louis de Nassau-Sarrebruck succéda en 1768 à son père Guillaume Henri. Ses maladresses contribuèrent au rattachement du comté et de Neuf-Sarrewerden à la France. Bouquenom devint française avec le reste du duché de Lorraine… On abolit réciproquement les douanes de 1767 à 1774.
Bouquenom, une enclave Lorraine au milieu des territoires de l’Empire Nassovien jusqu’en 1789, fût rattachée au bailliage Allemagne-Lorrain de Sarreguemines jusqu'en 1790.
La grande Révolution éclata. La Ville majoritairement catholique ne partage pas les idées protestantes de Neusaarwerden : les habitants du comté se révoltent contre leurs maîtres. Les paysans arrêtèrent le bailli de Neufsarrewerden en octobre 1792, le maltraitèrent et le traînèrent à Bouquenom pour le pendre à l’arbre de la liberté, acte empêché par le commandant militaire en fonction sur la ville. Bouquenom fût rattachée à la France Républicaine par le décret de la Convention du 14 février 1793. Toutes les localités des princes possessionnés étrangers furent distraites de leurs anciens territoires : la ville de Neusaarwerden, érigée en district, et tout le comté (composé de 6 cantons nouvellement créés : Bouquenom, Neuf-Saarwerden, Harskirchen, Wolfskirchen, Drulingen et Diemeringen) furent rattachés au Bas-Rhin et donc à la République française par un décret du 23 novembre 1793. Sarre-Union fut chef-lieu de canton du District de Bitche de Moselle de 1793 à 1795.
Le Quinze Messidor de la 2e année de la République Démocratique, c’est-à-dire le 16 juin 1794, la Convention força la ville catholique française de Bouquenom et la ville protestante et allemande de « Neuf-Saarwerden » à s’unir par décret, leur imposant le nom de Saar-Union, qui fût francisé après la Première guerre mondiale en Sarre-Union. L’appellation Neusaarwerden, NeuSarrewerden ou Neufsarrewerden est de nos jours inusité : c'est désormais Ville-Neuve (sous-entendu : de Sarre-Union), et Bouquenom désigne pour les habitants de la région l’ensemble de la ville, car le nom de Sarre-Union n’a pas fait fortune dans le vocabulaire local (ce nom au parfum médiéval avec son allure de sobriquet, serait la transcription de l’allemand Buckenum (« um » étant une altération de « heim » assez courante. Bouc… et le "c"remplacé par le "qu" placé au milieu ne serait là que pour éviter la prononciation Boussenome. Bouquenome signifierait « ville aux boucs »).
La ville inaugure, le 17 août 1851, la célèbre Fontaine aux boucs de la Place de la République : deux animaux héraldiques devenus symboles de la vieille ville de Bouquenom.
Le 19e siècle est pour Sarre-Union, malgré ses pertes substantielles en vies humaines dues aux guerres napoléoniennes, une époque de prospérité et de développement économique.
Grâce à sa position géographique favorable, mais surtout grâce au dynamisme de ses commerçants et de ses artisans, Sarre-Union a su concentrer à son profit une industrie rurale autrefois dispensée et développer sa fonction de marché, une bourgade industrielle dont la population compta jusqu'à plus de 4 000 habitants.
Les remparts furent démolis.
Deux journaux « La Saar-Unioner Zeitung » et le « Saar-und Eicheltalbote » étaient diffusés dans le canton. De cette même époque datent la construction de la synagogue, les conduites d’eau, la gare (inaugurée en 1872 elle fermera le 22 décembre 2018), le téléphone (1900). Ce développement économique amena une vraie crue démographique. La population du petit centre urbain augmenta régulièrement pour atteindre son maximum vers 1835.
Fin du 19e siècle, « Le Reichsland » donne 2991 habitants pour 538 maisons.
Le « Statistisches Handbuch des Reichslandes Elsass-Lothringen » signala comme principales industries locales : quatre tuileries et fours à chaux, une poterie, des meuneries, teintureries, les tanneries Lerch – Harth – Herrenschmidt, la fonderie de cloches et de pompes à incendie Grosz, une fabrique de machines agricoles, la corderie Dommel, quatre tonnelleries, deux fabriques de chapeaux de paille et panamas de Langenhagen, deux fabriques de couronnes de perles mortuaires Karcher et Schmidt, deux entreprises d’exploitation de carrières. Sarre-union était lieu d’échange entre les produits de la campagne voisine (bestiaux, céréales, farine, bois) et les produits fabriqués.
Dès le début de la guerre 1914-18, lors de la Bataille de Sarrebourg, la ville de Sarre-Union faillit devenir zone de combat, les habitants craignaient l’évacuation. Quatre années durant les libérateurs ont été attendus : 83 fils de Sarre-Union tombèrent sur le champ d’honneur…
Sarre-Union dénommé, en 1915, Saar-Buckenheim par un décret de l’empereur d’Allemagne Guillaume II, sera témoin, malgré les deux guerres mondiales, de nouvelles implantations industrielles :
les ateliers de constructions Hacquard (devenues un siècle plus tard Someta puis Cerenn), la compagnie des gazogènes Imbert (créée par Georges Imbert en 1930), la coutellerie Dockes, l’usine d’appareillages électriques Sarel (nom utilisé jusqu'en 2009 mais s’intégrant dans le groupe Schneider Electric dès 1984), "Les Vergers d’Alsace" (devenu l’usine Réa-Rein Elsässischer Apfelsaft-prenant par la suite l’appellation « Jus de fruits d’Alsace »), Alubac (devenu Ziemann-Hengel puis Ziemex)…
Il y a encore lieu d’ajouter les sociétés Bruder-Keller et Secathen, branche dissoute du groupe Ziemann-Hengel, comme les nombreuses entreprises de bâtiments et de travaux publics. Mentionnons enfin la manufacture d’orgues Georges et Yves Koenig dont les instruments d’églises et de conservatoires de musique sont connus jusqu’au Japon.
La deuxième guerre Mondiale apporta des bouleversements importants dans toute l’Europe. Déjà en septembre 1939, les communes de la ligne Maginot situées à l’Est et au Nord de Sarre-Union furent évacuées.
En mai 1940, les habitants de Sarre-Union partirent comme réfugiés vers les départements de Corrèze et des Deux-Sèvres. Dès septembre 1940, l’administration allemande organisa le retour de la population.
En automne 1944, les combats de la libération furent une seconde épreuve pour nos concitoyens : pendant plusieurs semaines toute la population dut vivre dans les caves pour fuir les bombardements et le combats de rue. Ce n’est que le 3 décembre 1944 que les troupes américaines purent se fixer à Sarre-Union. Paul Dommel a été nommé maire de la Libération. Aux premières élections d’après-guerre, les électeurs du canton l’envoyaient siéger au Conseil Général du Bas-Rhin.
Sarre-Union participe à nouveau à la vie nationale et tente de se reconstruire...
De nouvelles industries s'installèrent sur place. Le 10 mai 1970, l’aérodrome Victor Hamm est officiellement inauguré.
La construction de l'autoroute A4, ouverte en 1976 à la hauteur de la ville et qui donna lieu à la visite du Président de la République Georges Pompidou, permit son désenclavement.
Extraits des études publiées par M. A Uhlhorn et M. Charles Weber à l’occasion du centenaire de la société,
complétés par Muller Rebecca grâce aux archives de la Société Philharmonique et à des extraits de M. Jacob Marcel, M. Jean-Louis Wilbert et M. Georges Irrmann.